Les personnages (2): le groupe de Piotr

Il fait partie des mouvances qui contestent, se démarquent de l’ordre établi et sont en même temps les lieux des idées où fermentent et infusent les prochaines révolutions.

Piotr, le Laid selon certains, en est la figure inspirante. Prof de philo, avec ses petites lunettes rondes, à défaut d’être du type mâle alpha, il fait penser à un expert en pensée marxiste, statut que nul ne conteste tant sa dialectique est affutée. Incisif et ironique il domine par le verbe.

Soledad, remarquée par Piotr qui l’ouvrira à la lecture des auteurs oubliés, sera baptisée Sélène par le groupe, parce que si lui est solaire, Soledad la froide, la silencieuse à l’air de vierge fatale, dont il émane quelque chose d’indéfinissable, leur semble absorber toutes les ondes et irradier comme la lune.

La Frisée, intello de gauche, marxiste, genre étudiante en psycho, spécialiste des minorités, éveillera Sélène à cette réalité.

Léonce, inféodés à Piotr, prof de maths cultivé ouvrira Sélène à l’art et au cinéma. Il cherche sa voie en théoricien de l’écologie, entre les lois allemandes des années trente et les partisans de l’écologie profonde américaine qui pose la nature en sujet de droit. Tous voient l’écologie comme le sujet majeur, sans situer encore jusqu'où doit aller la hauteur de vue, pour savoir par quel bout prendre son approche théorique, atterrés qu’ils sont par la pauvreté de connaissance des politiques et l'instrumentalisation qu’ils en font, pour combler leur manque consternant de substance.

Pierre, bien qu’à l’extrême opposé de leurs convictions, sera accepté dans le groupe mais qui instrumentalisera qui ? Piotr, la Frisée en redoutables théoriciens, ou Pierre, rompu comme eux à la dialectique et grand spécialiste du trompe l’œil capitaliste ?

Extraits :

Ce groupe de Piotr, un peu flou, jeune, contestataire et woke, donnait le ton qui régnait à la Grande Brasserie de la ville et à la Ginguette sur le fleuve. On en était ou pas, selon le style, la pensée, l’assurance et l’humour. Personne ne se prenait au sérieux et il valait mieux ne pas s’y risquer, tant l’esprit critique ne faisais pas de cadeau, mais on y parlait aussi « écologie », « sociétal » et « révolution »….

… À force d’échanges depuis qu’ils se connaissaient, ils en étaient arrivés à comprendre que ce qu’ils défendaient les uns et les autres, n’étaient que des angles de vue différents d’un seul et même problème, plus vaste et extraordinairement intriqué, auquel ils se confrontaient tous. En redoutables théoriciens, Piotr et la Frisée justifiaient et rendaient son honneur à la lutte des classes, mais Pierre, rompu à la dialectique et grand spécialiste du trompe l’œil capitaliste, en restaurait les vertus…

… Un soir Pierre arriva très excité. Un ministre s’était adressé à lui pour être briefé sur la montée du wokisme à l’Université. Il y aurait un grand symposium à la Sorbonne, l’idée était de donner des munitions aux « anti woke » sur l’idée suivante : faut-il déconstruire la déconstruction ?

Dans l'entendement de Pierre, briefer voulait dire influencer. Pour lui, l’action commençait d’abord par la manipulation des idées, avant de se poursuivre dans la rue, menée par d’autres, dont on tirait avec habileté les ficelles de l’indignation.

- Piotr, la Frisée et Léonce vont argumenter dans le sens du « woke », du coup j’aurai le temps d’échafauder la contre argumentation du ministre pour le débat et la presse…

- Tu les instrumentalises mais fais attention, ils sont subtils. Ils peuvent penser à ta manœuvre, leurs arguments peuvent anticiper ta riposte et quand vous croirez avoir gagné, les adversaires de ton ministre sortiront l’argument ultime auquel vous n’avez pas pensé. Pour pas vous faire avoir, prévoit deux coups d’avance, met un piège dans le piège, mais ça aussi ils peuvent y penser et n’oublie pas, dialectiquement ils sont très forts, plus fort que toi peut être.

- Donc nous serons toujours battus, sur tous les plans. Celui de la dialectique pure, celui de la manipulation des réseaux sociaux par les minorités qui sont passées de la Révolution d’octobre à l’écologie et au wokisme, et tant qu’on y est, par ceux qui n’ont pas peur de la mort alors que nous avons sacralisé la vie !...